dimanche 28 mars 2010

L’HEURE N’EST PAS CELLE QU’ON CROIT



Les Suisses se sont bien amusés, dans les années soixante-dix, lorsque la France institua les heures d’été et d’hiver. « Nous fabriquons les montres, dit l’un d’eux. Et vous, vous changez les heures ! » Depuis, l’Europe entière est passée sous le joug de cet arbitraire. Le changement d’heures est peut-être une coutume française. Avant le XIXe siècle, chaque ville y avait son heure propre, mais le développement des moyens de communication, notamment du chemin de fer, nous a obligés à adopter une heure unique. Elle fut d’abord celle du méridien de Paris. Un certain Collin publia, en 1880, une plaquette de 21 pages, intitulée : L’unification de l’heure à Paris et dans toute la France, qui faisait le tour de la question. Puis, en 1911, on s’aligna sur Greenwich. Aujourd’hui, nous nous alignons sur un décret. De ces textes qui empoisonnent la vie des citoyens et que les politiques justifient parce qu’un conseiller technique leur a prouvé que leur idée était bonne.
Bien avant tout cela, Henri Sully (1680-1729) avait étudié la Règle artificielle du temps. Son traité parut une première fois, en Autriche à Vienne, en 1714, sous ses seules initiales. Ce savant d’origine anglaise, devait créer en 1718, une manufacture d'horlogerie à Versailles. Il entreprit aussi, en 1727, la construction de la méridienne de l’église Saint-Sulpice à Paris. Cette œuvre fut achevée par l’astronome Pierre- Charles Le Monnier (1715-1799). Mais c’est son ouvrage qui l’occupait le plus. Il y revint plusieurs fois, en ajoutant, en 1717, à sa « Règle », le traité de la division naturelle et artificielle du temps, des horloges et des montres de différentes constructions, de la manière de les connoître et de les régler avec justesse. Tout ceci en près de deux cents pages. Cette édition, était, en outre, augmentée par un Extrait de la lettre du R.P. Kresa S.L. écrite à M. Williamson, Horloger du cabinet de sa Majesté Impériale du 9 janvier 1715, et par la Description d’une montre d’une nouvelle construction présentée à l’Académie royale des Sciences au mois de juin 1716. Il s’agit sans doute de son chronomètre de marine destiné à la détermination des longitudes. Une nouvelle édition sortit, en 1737, sous le même titre (1).
Aujourd’hui, tout est simple à effectuer. On nous dit : avancez d’une heure vos montres, ou, à l’inverse, reculez-la d’une heure. Et l’on gagne ou perd à chaque fois du sommeil. Tandis qu’autrefois, la longueur du temps était plus affinée. Grâce à Sully et quelques-uns autres, nous savions que la différence entre le temps solaire moyen et le temps solaire vrai était appelée « équation du temps ». Celle-là varie chaque jour et atteint –16 minutes en novembre et +14 minutes en février. Ce décalage horaire est quand même plus supportable.

(1) L’éditeur belge, Machiavel, a réimprimé cette édition, à 1000 exemplaires.

samedi 20 mars 2010

Bibliofolie / LE MOINE ET LES VAMPIRES


Les vampires sont entrés dans la quatrième édition, celle de 1762, du Dictionnaire de l’Académie française, avec cette définition : « Nom qu'on donne en Allemagne à des êtres chimériques, à des cadavres qui, suivant la superstition populaire, sucent le sang des personnes qu'on voit tomber en phthisie (sic). » Ces êtres venus de l’au-delà avaient déjà été examinés par le frère bénédictin Dom Augustin Calmet (1672-1757). Après avoir séjourné dans plusieurs abbayes de son ordre, et de multiples recherches philosophiques et théologiques en bibliothèques, il fut élu abbé de Sénone, la capitale de la principauté de Salm dans les Vosges. C’est là qu’il écrivit la Dissertation sur les apparitions des anges, des démons et des esprits et sur les revenans, et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie (Paris, de Bure, 1746, in-12). Voltaire, après lu cet ouvrage, s’écria : « Quoi ! C’est dans notre XVIIIe siècle qu’il y a eu des vampires ! C’est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins ; c’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos qu’on a cru aux vampires, et que le RPD Augustin Calmet, prêtre, bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénone, abbaye de cent mille livres de rente, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’Histoire des Vampires, avec l’approbation de la Sorbonne, signée Marcilli ! ». Tout rationaliste qu’il était Voltaire ne manqua pas d’examiner ce traité des vampires et de l’exploiter à sa façon. Bien plus tard, le libraire Dorbon, dans son catalogue, Bibliotheca Esoterica mettait l’accent sur d'assez curieux chapitres renfermés dans l’ouvrage : "Sentiment des anciens Grecs et Latins sur le retour des Ames et sur leurs évocations par la Magie ; Evocation des Ames des trépassés ; Apparitions des Spectres ou des Démons, et des Esprits Spectres ou Démons qui causent la tempête ; Feu de S. Elme ou de S. Germain ; Apparitions d'hommes vivans à d'autres hommes vivans et éloignés […]; Les Démons sont ils gardiens des trésors cachés […] ;Morts de Hongrie qui sucent le sang des vivans […] ; Les excommuniez pourrissent ils en terre […] ; Morts qui mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux » , etc.
La « Dissertation », très vite épuisée, fut réimprimée en 1749 à Eindieseln. Si ce "Traité" connut un succès véritable, il provoqua quelques réactions, notamment celles dom Ildephonse Cathelinot, un ami de Calmet : « Je vous dirai franchement que cet ouvrage n’est point du goût de bien des gens, et je crains qu’il ne fasse quelque brèche à la haute réputation que vous vous êtes fait jusqu’ici dans la savante littérature. En effet, comment se persuader que tout ces vieux contes dont on nous a bercés dans notre enfonce sont des vérités ? » De son côté l’abbé Nicolas Lenglet-Dufresnoy (1674-1755), un érudit polémiste qui disait de lui-même : « Je veux être franc Gaulois dans mon style, comme dans mes actions », stigmatisa le manque d’authenticité et de certitude dans l’examen des faits soulevés par Calmet. Son Traité historique et dogmatique sur les apparitions, les visions et les révélations particulières, avec des observations sur les dissertations du R.P. dom Calmet,… (Avignon ; et Paris, J.-N. Leloup, 1751. 2 vol. in-12.) est pour le moins assez violent. En toute humilité, Calmet reprit son texte, tenant compte de tous les reproches qui lui avaient été faits et sortit une nouvelle version corrigée et augmentée, toujours chez de Bure, en 1751 en 2 volumes in-12, sous le nouveau titre : Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenans de Hongrie, de Moravie, & c. […] Avec une lettre de M. le marquis de Maffei sur la magie. Ce dernier, auteur italien né à Vérone (1675-1755) fut un esprit éclairé et un érudit célèbre dans toute l’Europe. Cette nouvelle édition fut traduite en allemand à Augsbourg dès 1752 et en italien à Venise en 1756. « Je n’écris que pour des esprits raisonnables, et non prévenus qui examinent les choses sérieusement et de sang-froid », écrivit dom Calmet dans sa nouvelle préface.


Vu à la librairie Villa Browna, à Paris, un exemplaire relié en plein veau, comportant l’ex-libris gravé de Germain Barré, curé de Mouville près de Rouen, et de Monsieur [Michel] Cousin, avocat du Roi au balliage de Caus, Dieppe, affiché 950 €. - http://www.villabrowna.blogspot.com/ - www.villabrowna.com

Le « Traité » a été réédité sous le titre Dissertation sur les vampires par les Ed. Jérôme Million, 1998

mercredi 17 mars 2010

UN BON SAUVAGE DANS LA BELLE PROVINCE



Le baron de Lahontan vécut dix ans Québec, à partir de 1683 et en rapporta un récit précieux pour l’histoire du Canada.

Les voyageurs en Nouvelle France, autrement dit le Québec ont rapporté des récits qui furent repris par d’autres auteurs, à un tel point que l’on ne sait plus, parfois, qui en fut le véritable. Lors de notre visite dans le centre de conservation de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), nous avions tenu entre nos mains les Voyages dans l'Amérique septentrionnale (sic), par le baron de Lahontan, dans l’édition de 1706 à La Haye. Un exemplaire de celle de 1703 parue la même année que l’originale, a été adjugée 2.200 €, à Drouot, le lundi 7 décembre 2009 par la svv Guillaume Le Floc’h, assistée par Emmanuel de Broglie. Cet ouvrage important pour l’histoire du Canada à la fin du XVII° siècle, est également intéressant pour sa description des mœurs et des coutumes des Indiens. Comme le souligne le bibliographe Charles Chadenat (1859-1938), « les cartes et planches sont très curieuses ». Cet ouvrage est orné d’un frontispice et de 25 planches et comprend un « Petit dictionnaire de langue sauvage ». Son titre complet se décline ainsi : Nouveaux Voyages de Mr le Baron de LAHONTAN dans l'Amérique septentrionale, qui contient une relation des differens peuples qui y habitent ; la nature de leur gouvernement ; leur commerce, leurs coutumes, leur religion,&leur maniere de faire la guerre [...]. et Mémoires de l'Amérique septentrionale, ou la Suite des Voyages deMr le baron de LAHONTAN qui contiennent la description d'une grande étendüe de païs de ce continent [...]. À La Haye, Chez les Frères L'Honoré, 1703. Les deux tomes sont réunis en un volume in-12.
De son vrai nom, Louis Armand de Lom d’Arce (1666-1716), Lahontan fut le premier auteur d’une ethnologie sur l’organisation en nations politiques des différents peuples du Québec. Il débarqua en Nouvelle France, le 8 novembre 1683 et passa l’hiver sur la côte de Beaupré. « Sans mentir [...] les paysans y vivent plus commodément qu’une infinité de gentilshommes en France. Quand je dis paysans, je me trompe, il faut dire habitants, car ce titre de paysan n’est pas plus reçu ici qu’en Espagne [...] », écrivait-il le 2 mai 1684. Lahontan séjourna dix ans en Nouvelle France, après avoir atteint le lac Ontario, puis le lac Champlain, et exploré la région des Grands lacs. Il se retira ensuite en Hollande, d’où il publia ses ouvrages qui remportèrent un certain succès. Ses « Nouveaux voyages dans l’Amérique septentrionale » parurent donc, pour la première fois en 1703, à La Haye, sous son nom. Il existe une quatrième édition de cet ouvrage imprimée à Amsterdam en 1728, « pour la Vve de Boeteman ».
Selon certains, leur auteur serait en réalité Nicolas Gueudeville (1652-1721), un bénédictin de Saint-Maure défroqué, proche des philosophes, qui publiait des ouvrages polémiques. Il semblerait pourtant ou à cause de cela que ces Nouveaux voyages furent les plus lus, parmi les récits du genre, au XVIII° siècle. On attribue au même Gueudeville un autre écrit, toujours paru en 1703, les Dialogues avec un Sauvage dans l’Amérique, et dans lesquels « Lahontan » met en scène une discussion entre lui-même et un « Sauvage de bon sens » nommé Adario. Ces « dialogues » furent repris bien plus tard en n1931, par Gilbert Chinard (Paris, A. Margraff, in-8) sous le titre complet : DIALOGUES CURIEUX entre l’auteur et un sauvage de bon sens qui a voyagé et Mémoires de l’Amérique Septentrionale, orné de 7 reproductions de gravures originale hors texte.
Surnommé le « soldat inconnu des Lumières » Gueudeville s’était lui aussi établi à La Haye. Malgré la décision de l’ambassadeur du roi de France de l’interdire de séjour, il passa outre, se convertit à la religion Réformé, se maria et publia les Nouvelles des cours d’Europe de 1698 à 1710 qui remportèrent un grand succès. On lui accordait une grande originalité. Nul n’a réussit à prouver qu’il ait été le véritable auteur des voyages de Lahontan. Il semblerait qu’il ait en effet rédigé les « dialogues » qui préfigurent le mythe du bon sauvage mis en avant par Rousseau, ce qui aurait entraîné la confusion.

Bertrand Galimard Flavigny

article paru dans la Gazette de l'Hôtel Drouot du 12 mars 2010

jeudi 11 mars 2010

LE COQ MARIN (humeur) MOBILISEZ-VOUS

A quelques jours de la fin de la campagne des élections régionales, les groupements politiques – ne parlons pas de partis, leurs membres sont tellement peu nombreux au regard de la population tout entière – lancent des cris d’alarme. Il faut se battre, disent-ils.
- Contre qui ?
Contre les autres, ces gens qui ne pensent pas comme eux, mais qui leur ressemblent tant ?
- Non, contre un véritable ennemi, un autre groupe insaisissable, mouvant mais qui fait peur. - A qui ?
- Pas à la population bien qu’elle soit responsable de cette crainte qui semble agiter les responsables politiques. Ceux-là agitent des foulards rouges, oranges u verts afin d’éloigner ce monstre qui a pour nom : Abstention. Si celle-là s’impose, nous courons à la catastrophe, proclament-ils.-
Ah !
Interrogeant l’un de ces vaillants combattants, je lui demandais d’exprimer sa crainte vis-à-vis d’Elle. Il haussa les épaules et me répondit : « On s’en fout pourvu qu’on soit élu ».

lundi 8 mars 2010

CONFUCIUS, CE GÉANT



A l’occasion de la publication des Philosophies confucianistes, dans la collection de la Pléiade, nous nous sommes demandés, quand les occidentaux ont-ils eu accès à la pensée du sage chinois.


La pensée confucéenne se cristallisa au seuil de l’Empire, avant de connaître une véritable transmutation au XII° siècle, en réaction à la montée du bouddhisme et du taoïsme. Confucius (vers 551-vers 479) était le fils d’un noble Song, affirmant descendre de la dynastie royale Shang, et d’une jeune concubine. Son patronyme était Kong mais il fut familièrement appelé Qiu, ce qui signifie « colline » ; son nom social était Zhongni. Lorsqu’il commença à enseigner, on le désignait comme Kong zi (maître Kong) ; après sa mort, il devint Kong Fuzi (l’illustre maître Kong). C’est ce dernier nom, qui, latinisé par les Jésuites au XVII° siècle, a donné Confucius.
Il semblerait que fort pauvre, le jeune Kong Qiu n’ai pas fréquenté d’école, ni avoir eu de précepteur, quoique certains auteurs comme Eulalie Steens, assurent « qu’il put sans doute fréquenter une école réservée aux nobles, mais on ignore qui fut son directeur spirituel » (1). Toujours est-il que, particulièrement doué, il parvint à maîtriser les écris anciens et peu à peu à gravir les échelons de la vie publique, jusqu’à devenir ministre de la justice du duc Ding de Lu, non sans avoir été plusieurs fois envoyé en exil et avoir pérégriné dans les huit principautés de l’Empire. Pendant tout ce temps, ce géant – il aurait dépassé les deux mètres - formait des disciples et mettait au clair ces écrits anciens dont il s’était nourri, ses réflexions et ses enseignements. « Durant les deux millénaires que dura l’Empire, la vision de la fonction impériale, s’articula toujours dans un contexte confucéen », souligne encore Eulalie Steens. Il ne nous appartient pas ici de décrire, ni de résumer la pensée de Confucius. Sachons toutefois que le Lunyu, les « Entretiens », comme le soulignent Charles Le Blanc et Rémi Mathieu, traducteurs et préfaciers des Philosophes confucianistes dans la collection de La Pléiade (2), « façonna le cœur et l’esprit non seulement de la Chine, mais aussi de la Corée, du Japon et du Vietnam ». En réalité, six textes et cinq auteurs forment le socle sur lequel s’est bâti, au long des siècles, l’école de Confucius. Le Lunyu se complète par deux autres textes majeurs : le Meng zi et le Xun zi et par trois brefs traités, le Dagxue, « la grande étude », le Zhongyong, « la Pratique équilibrée », et le Xiaoking, « le Classique de la piété filiale ». Les auteurs de la collection de la Pléiade les ont traduits à partir des éditions parue à Pékin en 1954 et réimprimée à Taipei en 1972.

GRÂCE AUX JESUITES

La pensée de Confucius est parvenue en Occident grâce aux Jésuites installés en Chine dès le début du XVII° siècle. Le P. Prosper Intorcetta (1625-1696) qui, se conformant à l’usage de ses confrères avait pris le nom chinois de Yin-to-thse, et le surnom de Kiosse, fut d’abord l’éditeur de la traduction en latin par le jésuite portugais Ignace de Costa du Taï-hio, nom donné au premier livre de Confucius. Il a été imprimé à la chinoise, avec le texte original, à Kian-tchang-fou, dans la province de Kiang-si, en 1662. Le père Intorcetta publia ensuite Le Tchoung-young, traduit en latin sous le titre de Sinarum Scientia politico-moralis, qui imprimé moitié à Canton, moitié à Goa, (petit in-fol. 1669). Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832) décrit ces ouvrages, dans Les Nouveaux mélanges asiatiques (1829) : « Les douze premiers feuillets sont imprimés avec des planches de bois sur papier de Chine plié double. Les feuillets 13 à 26 sont sur papier d’Europe et en caractères mobiles, aussi bien que quatre feuillets non numérotés et ayant pour titre : Confucii vita. On voit sur la dernière page le sceau du P. Intorcetta, en anciens caractères chi¬nois, et ces mots : Goæ iterum recognitum, ac in lucem editum, et la date du 1er octobre 1669. Il semblerait qu’il existe une réimpression de Goa, faite en 1671, (in-8°). On n’en connaît aucun exemplaire. Il y en aurait une autre imprimée à Nankin en 1679. Toujours est-il que le seul exemplaire connu de l’édition de 1669, est conservé à la bibliothèque de Vienne.
La véritable première édition européenne des œuvres de Confucius est l’édition latine imprimée à Paris en 1687 pour Daniel Horthemers (in-folio) sous le titre complet : Confucius Sinarum philosophas, sive scientia sinensis latine exposita, studio et opéra PP. soc. Jesu (Prosp. Intorcetta, Christ Herdtrich, etc.) orné d’un portrait de Confucius et d’une carte gravée par François de Louvemont. Le dernier exemplaire que nous ayons vu passer en vente a été adjugé l’équivalent de 18.000 € en 1987. Cet ouvrage, largement diffusé en Europe, a eu une répercussion importante sur les intellectuels de l’époque et du siècle suivant. Presque aussitôt, l’année suivante sortait, sans nom d’auteur, la Morale de Confucius, philosophe de la Chine, à Amsterdam, chez Pierre Savouret. Cet essai n’est pas une traduction des œuvres de Confucius, mais un commentaire. Il est attribué à Jean de La Brune dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il est l’auteur de La Vie de Charles V, duc de Lorraine et de Bar… (Amsterdam, J. Gand, 1691 ; in-12). Cette attribution est contestée par plusieurs bibliographes car La Brune était protestant et l’Avertissement qui précède le texte ne peut avoir été composé que par un catholique. On l’attribuerait de préférence au président Cousin (1627-1707) qui fut, de 1687 à 1701, le rédacteur du Journal des scavants… La Morale de Confucius est suivie par une Lettre sur la morale de Confucius par l’abbé Simon Foucher, datée du 23 janvier 1688. Ce titre a été réédité par Cazin à Paris et Valade à Londres, en 1783 (in-8) puis à Paris, à nouveau, chez Caille et Ravier en 1818.

UNE TRADUCTION INÉDITE

Il semble malaisé de définir quelle est la première traduction française des œuvres de Confucius. Il est toutefois certain que le Chou-King ou Shū Jīng, le premier des cinq livres sacrés chinois recueilli par Confucius a été traduit, revu et corrigé sur le texte chinois par le Père Antoine Gaubil, lui-même complété de l’histoire des princes omis dans le Chou-King par le M. de Guignes, plus un discours du Père de Prémare et autres annexes (Paris, N.M. Tilliard, 1770, in-4). Le Père Gaubil ne serait pourtant pas le premier à avoir interprété dans notre langue les textes du philosophe chinois. La bibliothèque de l’Arsenal conserve deux exemplaires manuscrits non signés contenant « les principes de la religion de la morale particulière et du gouvernement politique des anciens magistrats de la Chine abrégé et mis en français par M. Bernier, docteur en médecine de la Faculté de Montpellier » Selon José Frèches, auteur d’un article consacré à ce Bernier, dans la revue Persée, ses biographes ont, à tord, ignoré ces essais. François Bernier (1620-1688) un fils d’agriculteur, réussit à passer son doctorat en médecine en 1622 et voyagea dans de nombreux pays dont la Syrie, les Indes et le Cachemire. Il devint le médecin attitré du Grand Mogol, avec rang de vizir. Des intrigues de cour l’obligèrent à rentrer en France, et c’est là qu’il s’attela aux textes de Confucius, à partir de la version latine des pères jésuites : « J’ay cru que sans m’arrêter à dire tel interprète dit ceci, tel interprète dit cela, les colons ajoutent ceci et cela, ce qui rend la lecture ennuyante, principalement, principalement à nous qui demandons qu’on aille au fait et qu’on nus mène juste à ce qu’il y de bon et d’instructif », écrivait-il agacé, semble-t-il par les tours et détours des jésuites. Comme le souligne José Frèches, l’ignorance de Bernier de la langue chinoise, lui a enlevé tout scrupule et lui a permis de s’effacer devant Confucius. Est-ce pour cette raison que sa traduction n’a jamais vu le jour ? Il a tout de même publié une dizaine d’ouvrages, dont son Histoire de la dernière Révolution des Etats du Grand Mogol (Paris, 1670) et ses Lettres sur le café (Lyon, 1685) mais rien sur Confucius. Il n’appartenait pas à la Compagnie de Jésus.
Pendant ce temps, le Père François Noël (vers 1640- vers 1715) entreprenait une nouvelle traduction en latin des œuvres de Confucius, intitulée Libri classici sinensis imperii qui fut publiée à Prague en 1711. C’est à partir de cet ouvrage que l'abbé François-André-Adrien Pluquet, 1784, (Debure, 7 volumes in-18.) réalisa une traduction en français des ouvrages si chers à Confucius. Le bibliographe J-C Brunet cite David Clément auteur de la Bibliothèque curieuse, parue en 1759, selon lequel « ces pères [jésuites] ont tronqué d’une manière très sensible la traduction du philosophe chinois qu’ils ont publiée »
Après cela, nous entrâmes dans la « sphère » de Jean-Pierre Abel-Rémusat qui se pencha sur Confucius sans parti pris. Il donna le Zhōng Yóng en chinois, avec traduction latine et française, en 1817 (in-4). Ce fut ensuite le tour du Ta-hio, par Guillaume Pauthier (chinois, latin et français), en 1837 (in-8). Ce même auteur devait parachever les études sur les textes philosophiques avec la publication sous le titre complet : Confucius et Mencius, les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine traduits du Chinois (Paris, Charpentier, 1841, gr.in-8), édition qui sera reprise en 1858.



(1) Dictionnaire de la civilisation chinoise, Ed. du Rocher, 1996
(2) Philosophies confucianistes, collection de la Pléiade, Ed. Gallimard, 1536 p. 52,50 €.
Le RP Thierry Meynard (s.j) a donné au Collège de France, le 16 février 2010, une conférence sur « La première traduction des Entretiens de Confucius, en Europe »

samedi 6 mars 2010

LE COQ MARIN (humeur) – UN TOUR DANS LA CAMPAGNE

« La campagne pue ! » a lancé un vice-ministre chargé, je crois de la ville. Une découverte pour elle, pas pour nous ; nous en avons battu de la campagne depuis notre enfance. Nous en avons senti les odeurs et il est vrai qu’elles ne sont guère comparables eaux de toilettes et aux parfums qui apportent toujours, selon les petits films qui les vantent, la joie de vivre et de grandes et tendres amours. Oui, elle pue la campagne, elle empeste ceux qui s’en approchent. Ce qui est tout de même curieux, car le mot campagne vient de campania, la plaine. Cette plate étendue permet toutes les manœuvres car elle ne présente pas d’aspérité. Par quel hasard, est-il devenu synonyme d’expédition ? Les militaires et désormais les hommes politiques partent en campagne. Si les premiers en reviennent souvent avec des lauriers, les seconds y ramassent des ornions de toute sorte. A la différence des militaires qui, ayant pris un coup tombent au champ d’honneur, les politiques parviennent toujours à se relever et à quitter le champ au plus vite, laissant l’honneur sur le sol.

mardi 2 mars 2010

LETTRES DE LA JEANNE D'ARC VIII


- LE RETOUR -

Le pilote de l’hélico est particulièrement de bonne humeur ; tandis que l’engin s’incline et file, dans les airs, laissant en bas, sur la surface de l’eau, le bâtiment poursuivre sa route, il jubile. Sa voix transformée dans le casque, décrit à l’avance sa maison que nous allons survoler tout à l’heure. Il sera le premier de tous les membres de l’équipage de la Jeanne à apercevoir son toit. A-t-il prévenu sa famille ? Non, mais le simple bruit des rotors, devrait la faire sortir dans le jardin. Nous distinguons les côtes de plus en plus précises. L’écume bat les rochers, les bandes blanches s’opposent aux rocailles brunes qui cèdent la place aux champs verts cloisonnés de petites murailles grises. La Bretagne vibre sous nos pieds, comme si l’appareil demeurait immobile. « C’est là, à droite ! » entendons-nous hurler dans le casque. Une maison toute simple, ceinte d’une haie et d’un grillage. Un portique se dresse solitaire parmi les jouets oubliés. C’est l’heure de l’école, la maison est vide. Le pilote est déçu. Nous avec lui.
Au large, La Jeanne a poursuivi sa route, encore trente-six heures, elle accostera et se remettra de ses huit mois passés en mer. Nous allons à sa rencontre ; parvenue à son niveau au-dessus de la mer, la Gazelle se met en position stationnaire, le temps de prendre plusieurs photos.

Dans le téléobjectif, je vois soudain la proue prendre une taille inquiétante. Le bâtiment approche, tandis que nous sommes à l’arrêt. Un léger mouvement du manche et l’appareil s’élève au-dessus de la Jeanne qui, majestueuse, glisse en dessous de nous. Nous détaillons les moindres détails de ses structures, depuis ses quatre tourelles posées comme de gros insectes au dard vigilent, sa cheminée accotée au mât hérissé de branches, de fils et autres grillages qui sont des antennes de radar. Les « étuis à canote » tout blanc encadrent le pont d’envol et lui donnent un petit air apprêté. Les cinq cercles marqués d’un chiffre destinés à marquer la place des hélicos, font songer à un parcours de golf. Un signal, il est temps d’apponter. Le « chien jaune »* guide l’appareil à l’aide de ses gros gants blancs. Nous nous posons, l’homme croise les deux mains : c’est bon. Les hélices en profitent encore et tournent comme poussés par le vent.
Nous sentons un frémissement nouveau à bord. Le service se poursuit implacable avec ses appels dans le haut-parleur, ses alertes, ses courses dans les coursives, ses descentes ou montées dans les escaliers… Dans les postes de l’équipage, comme dans ceux des élèves-officiers, ceux qui ne sont pas de service bouclent leur sac, ajoutent des paquets. En huit mois d’absence et bon nombre d’escales, on a accumulé objets et souvenirs. Au carré des officiers subalternes, le président dudit carré pose devant lui les « attributs » de sa fonction : « la gaffe », le « brancard » et autres objets bizarres ; le plus jeune des midships se lève et lit le menu du jour – le dernier – en se conformant au cérémonial que l’on dit être immémorial, sans oublier les titres les plus ronflants, le nom du saint du jour, la fête à souhaiter le lendemain et de dire l’heure qui ne peut être que « midi, selon la montre en or massif du commandant ». Bref, le maître d’hôtel se précipite pour servir enfin, tandis que nous songeons devant la fresque qui orne la cloison, composée par Claude Schurr, peintre officiel de la marine (P.O.M) que la France n’est pas composée de superpositions colorées qui donnent un peu le tournis.
Les sacs des permissionnaires sont bouclés, les valises des élèves-officiers fermées. Les caissons ont été vidés. « Au poste de bande » ! La Jeanne doit être belle pour son retour à Brest. Les hommes et les femmes, casquette blanche et coiffe blanche sous le pompon rouge forment une longue chaîne le long de tout le bord. La musique de la flotte prend place sur le pont d’envol. La flamme de guerre claque au vent et file vers l’arrière. Le P.H.Jeanne d’Arc flanquée de sa conserve habillée dans la même tenue, franchit le Goulet et pénètre majestueuse dans la rade. Des dizaines de petits bateaux, toutes voiles dehors s’approchent pour l’escorter, les sirènes mugissent, les autres bâtiments saluent, les trilles des sifflets des boscos passent par-dessus les bords, la musique joue, quel est ce sonneur de cornemuse, le toubib ? De deux lourds canotes ont en entend des cris et l’on voit des femmes surtout et des enfants agiter les bras : les familles. Le dernier accostage de la campagne est terminé, les passerelles relient le bâtiment à la terre… (fin)



* nom donné à l‘apponteur, vêtu d’un casque et d’un chemise ou blouson jaune.

lundi 1 mars 2010

LE COQ MARIN (humeur) - Césars en toute famille -

Césars, vous avez dit Césars ? De quoi s’agit-il. Ah, oui, de cette petite réunion des membres de la famille-film. Il y avait là, le père, la mère, les frères, les sœurs et les cousins. Sur scène, les comiques, du moins les avons-nous toujours désignés ainsi, s’agitaient avec beaucoup de conviction en tentant surtout de ne jamais élever leur esprit de peur de ne pas être compris par les parents et alliés présents dans l’assemblée. On distribuait des petits prix, souvent aux mêmes, qui remerciaient leur papa, leur maman et leurs petits camarades, dans l’ordre ou le désordre. Il y eut même des larmes et des bégaiements… Bref une fête pour eux-mêmes. Il est tout de même surprenant d’apprendre que 1,7 millions de Français, ont supporté, devant leur écran de télévision, et sur la chaîne payante Canal+, diffusée en clair, de suivre ce long chapelet de sketchs dignes d’une fête d’un patronage des années 50. Cela nous rassure qu’ils furent 500 000 de moins que l'année dernière, 1, 6 million de moins qu’il y a cinq ans.
Allons, messieurs et mesdames les responsables de l’Académie des Césars, pensez d’abord aux familles des acteurs, faites un geste envers eux. Tous les primés n’ont pas d’autres mots à la bouche que pour les remercier. Louez le Parc des Prince et invitez-les également, chacun pourra s’embrasser sans le truchement de la caméra de télévision. La pelouse y trouvera son compte grâce aux larmes qui vivifieront les herbes. Cette manifestation privée évitera encore aux enfants des lauréats de se priver d’un match de foot pour suivre les exploits de leur mère-monteuse. Le but sera atteint.

LETTRES DE LA JEANNE D'ARC VII


- SOUS-MARIN EN SURFACE -

Nous sommes en exercice, certes, mais la vie à bord est semblable à celle de la veille. Dans les coursives, le même défilé des hommes se poursuit sans interruption. Cuisiniers, membres de la sécurité, secrétaires, fourriers, hommes de quart, élèves-officiers, officiers mariniers et officiers se croisent, montent ou descendent les échelles, s’interpellent, dans une rumeur ordinaire. En bas, au PC machine, on est simplement plus attentif aux ordres plus fréquents ; au PC opération, les dépêches se suivent à un rythme plus important. Sur le pont les mécanos entourent avec plus de vigilance les hélicos. Les haut-parleurs diffusent les ordres habituels. Le temps n’est pas excellent, la Jeanne roule tranquillement.
Dans l'après midi, le PC radio lance sur la passerelle un appel du Lynx : panne décelée à 30 nautiques au Nord. Le commandant saute de son fauteuil: « Montez la vitesse maximum sur 2 chaudières ». Les ordres sont répétés à voix hau¬te, des sonneries les accompagnent. La vitesse du vent est de 27 noeuds. Il faudra rabattre et donner le vent à midi au dernier moment. Sur le pont, les dispositions anticrash sont lancées. Les équipes de sécurité dans leur combinaison ignifugée, les médecins et les infirmiers dans leur tee-shirt blanc à croix rouge sont prêts. Nous distinguons depuis l’aileron à bâbord, un point dans le ciel qui grossit de plus en plus vite ; c’est lui. Chacun suit, avec une attention accrue, l’appontage. Plus de peur que de mal. A peine vingt minutes après l'appel, nous sommes revenus « au 300 » et à la vitesse moyenne de 15 noeuds. Le réel et l’exercice se côtoient à tout moment » constate le pacha, qui tente de ne pas laisser transparaître son inquiétude.
Deuxième phase. Tous les bâtiments de sur¬face deviennent Bleu, les sous marins et les avions, Orange. Nos devons assurer la protec¬tion d'un convoi figuré par quatre petits ba¬teaux se dirigeant vers les côtes du pays Bleu. Les menaces sont encore aériennes et sous¬ marines. Le principe est de déconcentrer les forces et d'effectuer des recherches dites à « grande maille », dans des secteurs donnés suc¬cessifs. En cas de guerre, les perdants mourraient. Beaucoup d’heures de veille et peu d'événe¬ments, c'est cela la situation de crise. « L'une des spécificités du marin est la durée, » me souffle le commandant en second. «Un exercice com¬me celui là aurait pu se dérouler en 36 heures et dans un espace plus restreint, note t il. Mais cela n'aurait pas été un reflet de la réalité. Il ne semble rien se passer. Il faut savoir que tout peut se dérouler très vite. Une torpille coule un bâtiment en 2 minutes ».
Un Breguet de la PATMAR (patrouille mari¬time) a repéré la Jeanne. Quelques instants plus tard des chasseurs tournent autour d'elle « afin de faire monter la pression ». N'oublions pas que nous sommes en situation de crise. Et... l'incroyable se produit. L’un des bâtiments de la force bleue « investigue » un sous marin en sur¬face. Un soviétique*. Un vrai, son pavillon flotte au sommet de sa tourelle. Les officiers présents se refusent à tout commentaire. Ne sommes¬-nous pas dans les eaux internationales ? Ce sub¬mersible de type Tango dont on ne connaît que 14 modèles aurait été mis en service en 1973. Il est très rare d'en rencontrer en surface. Subit il une avarie, recharge t il ses batteries ? Pour cer¬tains, la présence de cet « intrus », si elle n'est pas due au hasard, ne peut que valoriser l'exer¬cice en cours. « Le réel le côtoie à tout moment ». Les ailerons et la passerelle sont envahis par tous les membres du personnel qui ne sont pas de services. Les téléobjectifs sont braqués vers cette tache noirâtre qui flotte entre deux lames. Ce n’est pas tous les jours que l’on distingue de si près, l’adversaire. Les clichés pris ainsi à la sauvette constitueront le témoignage d’un souvenir insolite.
Aujourd’hui, déjeuner au « château », c'est-à-dire dans la salle à manger du commandant. Un jeune officier moqueur, me conseille de prévoir, à l’avance, un en-cas dans l’après-midi, car le pacha, adepte de la nouvelle cuisine, propose des menus qui ne nourrissent pas son homme. Il est vrai que le contraste est saisissant entre le protocole légèrement guindé de la table du maître à bord et celui plus relâché de celui des officiers mariniers supérieurs. Sortant de chez eux, nul besoin de goûter, voire de dîner. Chacun, depuis les officiers mariniers subalternes, jusqu’aux officiers supérieurs, en passant par les officiers subalternes, et l’équipage, dispose de son propre carré, avec ses usages. Nous avons eu le privilège d’être invité par tous. A quand le guide des meilleures tables de la Royale ?